Friday, November 30, 2007

Visage de la misère

Il était assis sur un pas de porte, rue de Rivoli à Paris.

Une affiche devant lui, quelques pièces de menue monnaie, une vois plaintive: "pour manger, s'il vous plait"

Nous nous arrêtons, je tire mon porte-monnaie. Pendant ce temps, un homme lui donne une pièce, le vieux mendiant le remercie, lui dit quelques mots, l'autre gêné répond, s'en va... Ma fille s'approche, lui glisse la pièce, le vieil homme m'interpelle: "j'ai dormi dehors, cette nuit"

Nous nous mettons à discuter, il m'explique une vie qui a dérapé, une vie de misère, "je suis déprimé" ajoute-t-il, en retenant difficilement ses larmes.
Je lui demande s'il s'est tourné vers des associations, oui, mais elles sont débordées, le Samu social ne peut le prendre avant plusieurs jours, les foyers d'accueil sont débordés aussi, "il y a trop de SFD".
Il a des projets, il est cuisinier et on lui a promis une place dans un restaurant lors des fêtes de fin d'année, et la sécu lui doit un gros remboursement.

Le soir, il va dormir dans une auberge de jeunesse. Mais il doit donner 17 euros pour cela, repas du soir et du matin compris.
Hier, il n'avait pas ses 17 euros. Il a dormi dehors, "en plus il a plu". Tout son espoir du jour réside en cela: rassembler 17 euros d'ici ce soir.
Bouleversée, je lui donne un peu plus... J'aimerais plus, tellement plus. Le sortir de là, lui, et tous les autres.

Beaucoup de visages de SDF me hantent, parfois des années après. Cette fois, c'est pire que ça. Lui me suivra longtemps. Tant qu'il me suivra, ça voudra dire que je suis prête à me battre, parce que je refuse qu'on vive dans une telle misère à notre époque.

Je me souviens de cette petite phrase du journaliste Pierre-Louis Basse sur Guy Moquet et la récente dispute idéologique à son sujet.
La vraie question, c'est celle-ci: sommes-nous dignes de Guy Moquet? Ce n'est pas pour ce monde-là qu'il s'est battu, ce n'est pas pour ce monde-là qu'il est mort.

J'ai quitté cet homme la honte au ventre. Ce soir, j'ai mangé, et je vais me coucher au chaud. Comment ne pas avoir honte?

La honte et la rage, aussi. Celle, salutaire, qui m'a fait décrocher le téléphone il y a quelques jours déjà. Celle qui me fait m'engager dans les domaines associatifs et politiques. Aujourd'hui, j'ai fait un pas de plus dans la révolte, mais aussi dans le combat, un pas concret dans le refus de la misère. Ce soir, lors d'une réunion, j'avais son visage à lui devant les yeux, et un énorme NON dans ma poitrine.

En ces périodes de fêtes de fin d'année, cessons de nous morfondre sur notre pouvoir d'achat qui baisse - je me demande d'ailleurs dans quelle mesure ce ne sont pas les médias qui ont inventé le fait que ce soit devenu l'obsession majeure des français... encore un arbre qui cache la montagne ça.
Je n'ai pas la possibilité de faire des cadeaux cette année, à peine pour mes enfants, et encore, en farfouillant dans les bourses aux jouets. Mais pourtant, pourtant.... Ma vie ne tient pas au fil de 17 euros quotidien...

Sunday, November 18, 2007

L'école fantôme

Vendredi matin, l'inspection me demande de me rendre à l'école bidule, rue bidule.

Quel bol! je suis déjà dans la bonne ville, presque garée face à mon école de rattachement. Je me gare sur le côté, sors mon classeur, farfouille à la recherche des plans de villes, trouve la bonne ville, cherche l'école... gnégnégné a pas l'école, la rue alors? non, inconnue aussi... Bien bien bien, je rejoins la grande artère qui traverse la ville, avise un plan, me gare là où il y a de la place. Il fait moins 5 degrés, je suis gelée, le panneau aussi. Je déchiffre difficilement, tente de gratouiller à l'endroit supposé de l'école supposée... Je ne trouve toujours pas.... Maudit gel! Je ne tiens plus, retourne à la voiture.

Je démarre, roule dans l'avenue, zieutant tous les panneaux... Rien n'indique l'école. Tiens? un autre plan de ville, mais dans l'autre sens évidemment... Je parviens péniblement à faire demi-tour 2km plus loin, parviens péniblement à me garer, et constate avec satisfaction que ce panneau là n'est pas gelé - quel veinard, on ne peut en dire autant de moi.
L'école n'existe pas, la rue non plus.

Bien bien bien... Mon instinct me dit d'aller vers la piscine et le collège. Mon instinct est aidé ma ma modeste connaissance de la petite ville, bien sûr- je ne vois pas d'autre endroit possible.

Donc direction piscine, je passe devant, passe devant le collège, continue, je m'engage manifestement dans une zone de constructions récentes et même en cours...

Soudain, un panneau m'informe que l'école existe bel et bien! un seul panneau, hein, et qui indique une direction imprenable pour cause de travaux...

Bon, au moins, ce n'est pas une blague de l'inspection - vous savez, un genre de bizutage- me reste plus qu'à trouver. Je tourne en tous sens dans cette zone en travaux, où des gens habitent déjà - je les plains.

J'avise un ensemble de bâtiments totalement hétéroclites, je passe devant, tourne encore.... finis par baisser les bras et demande - toujours congelée soit dit en passant - à une dame qui dégivre sa voiture.

L'école, c'est une des parties de l'ensemble hétéroclite susmentionné. Pour y accéder, tourner à droite. Sens interdit, évidemment... je me remets à tourner en rond, laisse ma voiture en plan, continue à pieds, enfin c'est une façon de dire, je n'ai plus de pieds, des glaçons à la place.
Je me dirige vers le truc qui ressemble le plus à une école dans l'ensemble bizarroïde, et soudain, victoire! Je constate qu'il s'agit bien d'une école, et bien de l'école bidule! Bien sûr, c'est écrit pas du tout visiblement, sinon on repère trop facilement.

J'ignore par où pénétrer dans le lieu, y'a des portails en tout sens, j'avance au hasard, finis par frapper à une porte... tiens? une classe... Ah, je dois aller en face, bon... Ca y est, je suis dans l'arène...

Lors de la récréation (dehors, toujours pas moins 5 degrés, alors que je venais de me réchauffer), tout en grignotant une pomme d'amour et en sirotant un café, j'apprends que le quartier commence à sortir de terre depuis 3 ans, mais que c'est loin d'être fini, et que donc la mairie attend la fin des constructions pour éditer de nouveaux plans, avec en particulier mention de l'école - faite à la va-vite, tellement que personne n'a tenu compte du nombre d'enfants susceptibles d'y être scolarisés à terme.

Malgré cette petite mésaventure matinale, j'étais bien contente, c'était LE remplacement que j'attendais depuis la rentrée des dernières vacances. Le reste du temps, je suis dans mon école de rattachement, à couvrir des livres ou à me planquer de la directrice qui ne m'a plus à la bonne depuis qu'elle a constaté que je suis copine avec ses deux ennemies.... Dallaaaaaaaaaaaaaaaas, oui, c'est tout à fait ça, c'est impitoyaaaaaaaaaable!

Sunday, November 11, 2007

Attaches

J'ai vécu presque toute ma vie dans cette ville. J'y suis arrivée enfant, et j'ai très peu de souvenirs d'avant. Adolescente, je me suis toujours promis de la quitter, cette ville où je m'ennuyais ferme. Je rêvais de la mer...
Je l'ai quittée, mais pas pour la mer... Et j'y suis revenue, nommez ça caprices du destin ou aléas de la vie.
Mes deux enfants y sont nés. N'y ont pas toujours vécu, mais y grandissent désormais.

Cette ville, je la parcours à pieds plusieurs fois par semaine. Mes enfants y vont à l'école, y ont des activités, des camarades, qui eux-mêmes ont des parents. Nous nous rendons dans les commerces, dans les restaurants, et comme nous sommes sympathiques, nous discutons avec tout le monde. A la médiathèque, où on fait pareil. J'ai fait des stages dans l'une des écoles. Je connais beaucoup d'instit. Je fais partie d'une association, où je rencontre du monde. Mes parents ont des connaissances, dont certaines que je connais plus ou moins vaguement.
C'est aussi la ville où résident encore certains anciens camarades de classe, que je croise de loin en loin (mais d'où je le connais, lui, déjà?).
Et puis il y a les vagues connaissances d'amis vaguement proches que vous n'avez vus qu'une fois (les vagues connaissances)

Et tout cela rend les choses terribles, voyez-vous.
Exemple, aujourd'hui.
Nous nous rendons à la commémoration du 11 novembre, au monument aux morts. Je reconnais des visages. Mais je ne sais pas qui c'est, ni si ce sont de vagues connaissances ou juste des personnes croisées plusieurs fois. Dois-je les saluer? Il me semble avoir eu au moins une discussion avec un vieil homme, en particulier, mais vraiment, je ne sais plus- je m'écarte donc un peu, nos regards ne se sont pas croisés, heureusement.
Pour certains, c'est plus facile: ils participent à la fanfare, ils sont donc de l'école de musique, merci l'uniforme! Je peux dire bonjour.

Courses rapides dans le petit supermarché du coin. Et zut, un de mes ex m'a repérée. Echange de bises, voiloù, excuse moi, je suis pressée (ce qui est vrai).
Ah, et puis l'instit de ma fille. Il m'a fallu quelques secondes pour le reconnaître, quand même - je ne l'ai pas vu souvent.
Bon, eux, c'était facile.

Nous rentrons, croisons une voiture, dont le conducteur nous fait un grand coucou, et moi aussi. Je le connais, j'ai même déjà discuté avec lui, mais qui c'est, bon sang de bonsoir? Heureusement qu'il ne s'est pas arrêté, j'aurais eu l'air fine.

Et c'est comme ça très fréquemment.

Connaître trop de monde tue la vie sociale, si vous voulez mon avis -parce que le "t'es qui, toi, déjà?" est plutôt mal venu... comme le fait de changer de trottoir avant d'être vue au cas où ce soit quelqu'un que vous êtes censée connaître, sauf que vous ne savez plus qui c'est.

Terrible, tout ça, isn't it?

Wednesday, November 07, 2007

Lâchez moi la petite culotte

Oui je sais, le titre... Mais bon, mes enfants sont dans leur période Titeuf, ça déteint.

Et donc, je suis un tantinet énervée par les réactions de certaines personnes qui se mêlent absolument de ce qui ne les regarde pas.

Je ne parle pas du regard exaspéré des clients des magasins lorsque vos enfants se roulent par terre en hurlant qu'ils veulent çatoussuuuuuuuuuuuuuuiiiiiiiiiiiiite (chose que mes enfants ne font pas, cea va sans dire).
Ni du regard exaspéré aussi de quidam dans la rue qui trouvent vos enfants hyper mal élevés parce qu'ils sautent partout en bousculant tout le monde.

Ca, pourtant, mon fiston, il le fait. Sauter partout, courir en tout sens, bondir, rebondir, recourir, slalomer entre les poubelles, les arbres et les grandes personnes, au péril de sa vie et de celle des autres, au moins.

Hé bien, je dois habiter dans la ville la plus agréable qui soit sur ce plan-là, parce que les quidams dans la rue, ils trouvent ça mignon.

J'essaie d'inculquer à mon fils un minimum de civisme, de courtoisie, de respect et de politesse.

- Non, ne fonce pas comme ça, mets toi sur le côté et laisse passer la dame (âgée, la dame).
- Oooooooooh, mais madame, laissez-le ce petit, voyons.

Et la vieille dame se pousse. Et j'ai l'air bête.

Et c'est tout le temps comme ça. On me trouve trop sévère avec mon fiston, alors que je tente juste de faire un enfant correct de mon petit sauvage. Je passe sur les "mais laissez-le vivre, c'est normal qu'il bouge, il est pressé et moi j'ai le temps", pour en arriver au plus croustillant.

Récemment, Tom-Tom a traversé devant une voiture, parce que (j'ai compris après), il a cru que c'était une bonne idée vu que le trottoir d'en face était plus large (oui, il a 5 ans en même temps).

Qu'auriez-vous fait à ma place, franchement? ouais, pareil, j'ai crié "mais enfin ça va pas non qu'est-ce qui t'a pris??? c'est dangereux!"

Et la voiture s'arrête à mon niveau, la vitre se baisse, la conductrice s'adresse à moi: "Voyons, ne le grondez pas, il est si mignon"

C'est clair, c'est hyper mignon, un enfant éclaté sur le bitume.